Accueil > Pris sur le vif > La danse de la pluie
L’histoire commence il y a fort longtemps, sur les hauteurs du Vercors
Assis derrière son bureau de directeur, le directeur est content. Comme chaque soir à cette heure là, il sort un petit cahier du tiroir gauche de son bureau de directeur et y consigne ses impressions, le bilan de sa journée
Ah cette journée, quelle journée ! Tout avait pourtant si bien commencé...
Il est 6h30 et notre directeur quitte les bras de Morphée pour rejoindre la salle à manger. Il s’est levé tôt comme il se doit, le monde lui appartient...
(Que le lecteur à l’âme sensible se cramponne à son siège... c’est ici que le récit prend une tournure dramatique !).
Un œil par la fenêtre... Horreur... Non, sans doute est-il mal réveillé ! Il fonce dans la cuisine, se rue dans la réserve, se précipite dans la salle peinture... Nord, Sud, Est, Ouest... Aucun espoir et plus de doute possible... Il pleut !
Il pleut bel et bien, avec un grand P, un énorme P qu’on a pas senti venir et qui vous file la nausée. À l’eau l’escalade, à l’eau la piscine, à l’eau le mini golf. Allô, la patinoire ?
Il est 8 heures, les premiers enfants commencent à (petit) déjeuner. Dans une heure, une toute petite heure il faudra occuper ces 54 bambins. Le directeur est bien seul derrière son bureau de directeur. Il contemple son superbe planning en couleur et en 4 dimensions... Voilà bien longtemps que les animateurs ne savent plus rien faire Et les enfants, Ah les enfants ! Ils veulent des sensations fortes, de l’extraordinaire, de l’émotion, du frisson !
De nouvelles activités se sont développées : VTT, canyoning, escalade... Avec elles, un cortège de diplômes et de diplômes d’État. Des spécialistes, de vrais professionnels. Ah si les animateurs étaient comme eux !
Mais cessons de rêver, se dit notre directeur, il faut passer à l’action. Il saute dans sa voiture de directeur et fonce accomplir son devoir de directeur. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le voilà de retour au centre. Sous son bras : la fin de tous les problèmes : Indiana Jone, l’intégrale VHS.
Il est déjà 10h30. Voilà plus d’une heure que les enfants laissés aux mains inexpérimentées des animateurs sont là, à ne rien faire : Certains chantent dans la bibliothèque, d’autres lisent, d’autres encore gribouillent n’importe quoi dans le coin peinture (sa transformation en séchoir pour les combinaisons néoprène est prévue sur le prochain budget).
Heureusement que le directeur est de retour et ne les laissera pas s’ennuyer plus longtemps. Il y en a même un qui s’est endormi ! Allez hop, regardez ce que je vous amène...!
Des va-et-vient, des BD qui se ferment, des yeux qui s’ouvrent doucement... trop doucement : « Dépêchez-vous, ça commence dans 3 minutes ».
Ça y est, c’est parti. 51, 52, 53, 54... Ils sont tous là. Ouf, la matinée est sauvée !
Le directeur profite de l’occasion pour réunir ses animateurs. Ce matin, il a sauvé la situation, une fois de plus, mais si la pluie continue...
— « Ne croyez pas que je serai toujours là pour faire le boulot à votre place... ».
Cet après-midi, il a fait beau. Les activités ont pu reprendre. Derrière son bureau de directeur, le directeur est content. Ah cette journée, quelle journée !
Du troisième étage s’échappe une étrange mélodie. Des enfants tournent en rond levant les bras vers les nuages. Cela ressemble à une vielle danse indienne, un rituel implorant l’eau du ciel. Un animateur les observe, une lueur d’espoir dans les yeux...
Luc Mortier, les Cahiers de l’animation Vacances Loisirs n°10, 2ème trimestre 1995.