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Les punitions, Gisèle de Failly

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Le texte qui suit est extrait d’un livre d’une étonnante actualité : Le Moniteur, la monitrice. Publié pour la première fois en 1955 aux éditions du Scarabée, il a été réédité de nombreuses fois depuis.

Les punitions constituent un recours très tentant, car elles ont fait partie intégrante de l’éducation que nous avons reçue. Elles apparaissent comme un des droits évidents dont l’adulte dispose pour se faire respecter et obéir.

Cependant, notre conception du rôle de moniteur éclaire les divers aspects de notre action éducative. De cette action, nous attendons un épanouissement et un progrès.

Il ne faudrait pas être en contradiction avec nous-mêmes en détruisant par des punitions l’effort constructif auquel nous nous appliquons d’autre part.

En face de la « faute », nous devons, comme envers tous les actes des enfants, essayer de comprendre. Nous devons la voir en psychologue, en éducateur, avec le même calme et la même objectivité que le médecin met à observer un malade.

On ne peut donner de recette. Chaque acte de l’enfant a une signification particulière. Le même carreau cassé peut être une maladresse, un acte d’agressivité, un désir de destruction. Devant la même faute grave, nous pourrons réagir dans un cas par quelques mots ou, dans un autre cas par une sévère intervention.

Nous aurons souvent l’impression, surtout si nous sommes nous-même fatigué, que les enfants désobéissent pour nous braver, ou que la sottise qu’ils ont faite est dirigée contre nous et qu’ils nous visent personnellement. Nous souffrons alors. Nous sentons monter la colère et même la violence si le fait se reproduit plusieurs fois.

Vous avez recommandé aux enfants de ne pas s’éloigner en vous attendant pour le départ à la baignade. L’éternel Bébert a filé nul ne sait où et vous le retrouvez enfin gravement occupé à tailler une baguette de bois pour se faire une canne. Quand vous lui faites remarquer qu’il retarde tout le monde vous pourrez penser, à son attitude, qu’il vous nargue et n’a eu pour but que de vous « faire marcher ». Mais c’est très probablement faux : accusez plutôt sa distraction, sa légèreté, son manque de sens de la responsabilité et sa gêne lorsque, vous apercevant, il se rend compte qu’il est en défaut. Vous serez plus sûrement dans le vrai et n’aurez pas de peine, alors, à faire taire une indignation qui, non seulement vous aurait rendu injuste, mais qui, transparaissant dans vos gestes et dans votre voix, aurait certainement affaibli votre autorité.

De plus, les enfants sont en vacances. Que signifie ce mot si ce n’est d’abord un sentiment de joie, de liberté. N’allons pas l’assombrir par un ton de voix sévère, par de constantes exhortations, des semonces, des brimades qui éloignent les enfants de nous.

Les enfants sont sensibles
Notre comportement est d’autant plus important que les enfants sont d’une extrême sensibilité devant laquelle ils sont sans défense. Ils manquent du contrôle que les expériences de notre vie nous ont obligés à acquérir.

On les croirait, pourtant volontiers indifférents à en juger par la manière dont nous leur parlons, comme nous n’oserions jamais parler à des adultes : « Encore une sottise, cela ne m’étonne pas, tu n’en fais jamais d’autre... »

Avez-vous déjà observé les enfants à une représentation de théâtre, de marionnettes, de cinéma ? Vous rappelez-vous ces visages tendus dans une expression de frayeur, d’attendrissement, l’intensité passionnée avec laquelle ils participaient aux péripéties du spectacle ?

On dit « pleurer comme un enfant ». Cela signifie bien pleurer pour un rien, ou encore : s’abandonner à ses larmes sans pouvoir se dominer. L’enfant pleure en effet, pour un mot dit un peu plus fort qu’un autre, parce qu’on lui fait une remontrance... Un jour, je fis un peu vivement, à une grande fille de treize ans, une remarque sur le manque de soin de sa coiffure. Elle éclata en larmes.
L’enfant réagit intensément à toutes les impressions, à toutes les sollicitations, à nos gestes, à nos paroles. Allons-nous sourire de cette sensibilité, la négliger ou au contraire la traiter comme une richesse de la nature humaine qui mérite le respect ?

Nous devons tenir compte de cette vulnérabilité, de cette fragilité des enfants dans les observations que nous leur faisons et plus encore dans les punitions.

Vérifiez toujours les faits.
Et d’abord, êtes-vous bien sûr que la faute n’est pas une simple maladresse ou n’a pas été amplifiée de bouche en bouche par ceux qui vous l’ont rapportée ? Il y a un certain plaisir à être le centre de la curiosité en annonçant une nouvelle « sensationnelle » ou à rendre piquante par des détails pittoresques une nouvelle banale. J’ai connu plusieurs histoires de « vols » qui, ramenés à leurs proportions véritables, étaient, dans l’intention, de simples « emprunts » ou un geste indiscret, ou une taquinerie de mauvais goût.

Je fus accueillie un jour au retour d’une promenade par des « on a volé Éliane »... Une seule fille, fatiguée, était restée à la colonie. L’accusation se portait sur elle, sous forme de chuchotements et de regards furtifs et pourtant la camarade visée me paraissait hors de soupçon.

La nouvelle se répandit avec une incroyable rapidité, je pris le parti d’y couper court brutalement, en interdisant qu’on prononce le mot de « vol » et en affirmant, au risque de me tromper, que j’étais sûre qu’il y avait une erreur. Je fis alors une enquête discrète. L’objet, disparu d’une valise, fut retrouvé dans un placard et il est fort probable qu’il y avait été placé quelques jours avant par Éliane, puis oublié. L’affaire tomba avec autant de rapidité qu’elle en avait mis à couvrir l’horizon comme les nuages d’un orage. Le lendemain, il n’en fut plus question.

Il est certain qu’il aurait suffi d’un rien, dans l’état de surexcitation de la veille, pour déterminer un drame dont l’accusée aurait souffert la première, mais dont aurait été victime toute la collectivité.

La faute grave pèse toujours sur la collectivité. Elle crée un malaise dont souffrent ceux mêmes qui en sont le moins responsables. Le sentiment de la solidarité est si vif que ce qui touche un de ses membres rejaillit sur tous les autres.

La punition est-elle éducative ?
Le but immédiat de la punition est de faire cesser le comportement gênant de l’enfant.

Par exemple, vous vous êtes vite rendu compte qu’un de vos enfants mentait. À chaque nouveau mensonge, vous le tancez, en privé ou en public, vous le punissez.

Il est possible qu’au bout de quelques expériences de ce genre, il mente moins. Mais est-il devenu pour autant franc et ouvert ? Il est fort probable au contraire que la crainte seule sera à l’origine de sa nouvelle attitude et qu’il sera méfiant à votre égard, renfermé, peut-être craintif, c’est-à-dire que son état de déséquilibre sera renforcé et son développement personnel entravé.

Il peut arriver aussi que l’enfant réagisse aux remontrances et aux punitions qu’il a subies en mentant davantage. Alors, excédés et croyant agir « pour son bien », nous durcirons notre attitude. L’enfant se raidira de plus en plus et le fossé se creusera plus profondément entre lui et nous, rendant bientôt impossible tout vrai contact.

Dans bien des cas, il sera préférable d’adopter une toute autre méthode, qui demande beaucoup plus de compréhension, de maîtrise de soi, de patience : elle consistera peut-être à glisser sur certains mensonges dont vous vous serez aperçu et à n’intervenir, toujours en pleine possession de vos moyens, que si une situation vraiment inacceptable a été créée.

Dans toute faute, il faudra tenir compte de l’état de l’enfant : il peut être simplement fatigué ou être énervé par les contacts prolongés ou bruyants avec ses camarades. Peut-être alors, le mieux sera-t-il de lui dire, calmement mais sérieusement : « tu as besoin de te reposer ; va au calme, loin des autres, un moment. Voici de quoi t’occuper si tu veux ». L’enfant a été « isolé » mais non « puni », car nous nous interdirons toujours le mot qui donne une idée fausse de notre intention : celle-ci n’est pas de nous ériger en juge qui distribue des sanctions, mais d’aider l’enfant à être conscient de ses erreurs et à les corriger par sa propre volonté.
Lorsque l’enfant revient vers vous, vers le groupe, il faut l’y accueillir tout naturellement, comme si rien ne s’était passé, ne pas dire : « te voilà ? ah bien ! Nous allons voir maintenant si tu sais te tenir correctement ». Au contraire, tout s’efface. Le fâcheux incident est liquidé, on n’y revient plus. L’enfant sent que l’adulte ne s’est pas opposé à lui, mais l’a aidé à se reprendre et à se retrouver.

Mais parallèlement à votre action individuelle, vous avez une action d’importance à poursuivre sur votre groupe : vous vous emploierez à le consolider, à développer la confiance et l’amitié des uns envers les autres et envers vous, à créer une atmosphère claire. Il se peut fort bien que, détendu, confiant envers ses camarades et envers vous, le jeune colon qui vous inquiétait par ses mensonges réitérés, utilise de moins en moins son moyen de défense devenu inutile. Alors, même si votre réussite n’est pas complète, même si elle ne se manifeste que par un changement d’expression dans le regard, par une autre manière de tendre la main, il sera sur la voie du progrès et vous aurez fait œuvre d’éducateur.

Les punitions ne changeront jamais la brutalité en douceur ni la paresse en activité. Elles donneront aux enfants le sentiment de leur faiblesse devant notre puissance, qui se traduira par une résignation ou une révolte aussi dangereuses l’une que l’autre.

La punition atteint quelquefois le résultat inverse du résultat recherché
Prenons comme exemple cette infirmité si répandue et si pénible dans le centre de vacances qu’on appelle l’énurésie.

Il y a quelques années, le fait, pour un enfant, de mouiller son lit était considéré comme une défaillance de la volonté : « Tu ne fais pas attention », ou même comme de la mauvaise volonté : « Tu le fais exprès ».

Les « mouilleurs de lit » étaient souvent concentrés dans un dortoir spécial et, à cause de tous les désagréments de leur déficience (odeur, linge et draps à laver et faire sécher, matelas abîmé), étaient l’objet de moqueries ou de blâmes, lorsqu’ils n’étaient pas traités en parias.

Des éducateurs mal avertis, croyant faire cesser cette infirmité par la crainte, punissaient les enfants et certains poussèrent même la dureté jusqu’à leur faire faire, pour les effrayer et « stimuler leur volonté », des piqûres de sérum, sans aucune action physiologique. « Cela ne pouvait leur faire de mal », pensaient-ils. Mais le mal était grand. Les enfants, terrorisés, se croyant atteints d’une grave maladie, étaient de plus en plus instables, inquiets et sujets aux effets que l’on voulait éviter.

Depuis quelques temps, des études et des expériences approfondies ont été faites sur cette question. Les médecins nous ont appris qu’ils s’agissait, dans certains cas, d’une maladie qu’il fallait soigner. Mais dans d’autres cas très fréquents, on se trouvait simplement en face d’un phénomène psychologique : l’énurésie était une réaction au changement d’habitudes et de milieu, à la séparation de la famille, au sentiment d’inquiétude, d’insécurité provoqué par des conditions de vie entièrement nouvelles.

Tout ce qui accusait cette insécurité et cette inquiétude aggravait l’infirmité dont souffraient les enfants et les punitions, particulièrement nocives et dangereuses ici, allaient à l’encontre du résultat qu’elles voulaient obtenir.

Il fallait au contraire nous rappeler que l’humiliation attachée à cet inconvénient était déjà une douloureuse épreuve pour l’enfant et éviter à tout prix de l’augmenter, ne pas leur donner, comme on l’a fait souvent, un sobriquet qui souligne leur sentiment d’infériorité et le sentiment de ne pas être « comme tout le monde ». Il fallait traiter ces enfants en déficients physiques et non en coupables, les faire examiner et soigner. Enfin, il fallait accepter cet état de fait et prendre les mesures d’hygiène nécessaires.

L’expérience nous a montré que, souvent, après quelques jours d’adaptation dans un milieu confiant, actif, affectueux, la diminution et même la disparition de l’événement redouté viennent d’elles-mêmes.

Les punitions qu’on ne doit jamais voir
Nous nous révoltons quand nous pensons que des hommes peuvent être battus par d’autres hommes. Comment accepterions-nous que des hommes battent des enfants ?

Les punitions corporelles sont indignes de nous : nous utilisons notre force sur des êtres plus petits et plus faibles, sans défense vis-à-vis de nous. Elles doivent être à tout jamais bannies de la colonie.

Rayons les punitions basées sur la peur qui, créant l’angoisse, déséquilibrent les enfants. Pour les plus petits : obscurité, croque-mitaine, ogre, gendarme. Pour les autres : menaces, cabinet noir.

Écartons les punitions qui humilient : bonnet d’âne, pancarte, ou simplement, humiliation dans les paroles : « N’as-tu pas honte ?... » N’abusons pas des « Je ne t’aurais jamais cru capable de cela ».

Évitons toujours les mots pénibles et plus encore s’ils sont dits en public. Certaines paroles laissent des blessures ineffaçables que l’adulte mûri garde encore. Évitons de créer chez les enfants le mépris d’eux-mêmes, mais suscitons en eux le goût de l’effort et du progrès. Lorsque nous parlons aux enfants, évitons la moralisation, inutile, et qui fait perdre aux mots leur valeur.

Évitons aussi les punitions collectives qui frappent aveuglément les enfants pour atteindre l’auteur de la faute et qui laissent derrière elles le sentiment d’une injustice.

La punition est-elle une aide pour l’animateur ?
Mais, direz-vous, que nous restera-t-il pour nous faire obéir ? Je vous pose alors la question : La punition est- elle utile ?

Même si on ne l’envisage que comme procédé, sans faire intervenir ses inconvénients, je ne crois pas qu’elle soit une aide pour l’animateur
Le silence exigé au dortoir ou pendant la toilette à la suite d’une incartade nous donnera un moment de tranquillité, mais il met les enfants « sous pression ». Nous les retrouverons tout à l’heure agités, nerveux, quelquefois insolents. La privation de la veillée dont l’enfant se réjouissait (et nous l’en privons justement parce qu’il s’en réjouissait) le laisse aigri, tandis que l’atmosphère détendue de cette veillée nous aurait peut-être permis un rapprochement, aurait peut-être éveillé un sentiment de reconnaissance et d’amitié de sa part qui l’aurait encouragé à un retour sur lui-même.

La punition qui, une fois, nous a aidé, s’usera bien vite

Elle deviendra une routine, une habitude qui n’aura plus d’effet sur l’enfant.

Et alors, pour qu’elle « porte », nous serons amené à renchérir. L’allongement de la sieste passe vite de dix minutes à un quart d’heure, puis, à une demi-heure, quand ce n’est pas davantage.
La prolongation de la sieste, le silence exigé aux repas, la mise au coin ou au piquet, les bras en croix ou sur la tête, la privation de sortie sont autant de punitions qui, sous leur apparence inoffensive, détruisent l’atmosphère libre et confiante du centre de vacances. Nous en retrouvons les effets néfastes sous forme d’énervement, de petites rancœurs, de déceptions. Les privations de nourriture sont à rejeter à la foi pour leur signification morale et pour leur conséquence sur la santé.

Lorsqu’une faute peut être réparée : remplacement d’un objet brisé, nettoyage d’un parquet sali, rangement d’une pièce en désordre, excuses à un camarade insulté, etc., cette réparation doit être présentée non comme une humiliation, mais comme une conséquence logique et doit être exigée. Il ne s’agit plus, à proprement parler, d’une punition, mais plutôt de la juste réparation d’un méfait qui permet à l’enfant de prendre conscience de sa responsabilité.

Si, malgré tout ce qui précède, on est amené à punir, il faudra le faire calmement, sans colère. Notre punition ne doit pas être une vengeance ou un plaisir de domination.

Ne dramatisons pas la faute, essayons toujours au contraire de réduire son importance, de la minimiser, de lui appliquer toute notre compréhension.

Mais, mieux encore, n’entrons pas dans le cycle infernal des punitions

Giselle de Failly

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