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Qu’il est bon de jouer

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Jeux vidéo : en colo ou en foyer... Si on ne veut pas, que les ACM soit des sanctuaires hors sol, le jeu vidéo doit avoir toute sa place dans les séjours de vacances et de loisirs. Il devra même trouver sa place dans les stages de formations des animateurs !

Parce que le jeu vidéo est un fait de société et une pratique ludico-culturelle des enfants, des ados, des jeunes et des adultes d’aujourd’hui (au masculin et au féminin). Parce que je refuse toutes réflexions trop rapides et trop manichéennes se fondant sur des valeurs traditionalistes. Parce que le jeu vidéo est trop souvent, sur nos terrains, relégués à un rôle péjoratif, à un rôle de simple passe-temps. Parce que bon nombre d’éducateurs et d’animateurs préfèrent éviter la confrontation avec le jeune et sa console. Parce que le jeu vidéo est un objet d’attraction fort pouvant devenir une pratique exclusive. Parce que je suis un joueur vidéo qui en a marre d’être stigmatisé sur la base d’un stéréotype. Parce que l’on a tendance à oublier que les jeux vidéo sont... des jeux ; avec certains militants des Ceméa nous avons le souhait de nous emparer d’une réflexion autour du jeu vidéo. Tout comme le sujet de la télévision il y a quelques années, la réflexion autour du jeu vidéo trouve son intérêt dans le rôle pédagogique, éducatif et/ou culturel que l’on peut lui donner. C’est sur ce point qu’il me semble ici important de s’arrêter et non pas sur l’éternel discours philosophique opposant les technophobes aux technophiles.

Les consoles sont déjà présentes sur nos terrains d’actions, mais bien souvent les enfants ne sont autorisés à l’utiliser que lors des temps de vie quotidienne : pendant les douches en attendant que l’une d’entre elles se libère mais « à condition que la chambre soit rangée et que le linge sale soit déjà amené à la lingerie ! » Ou bien durant le temps calme, « à condition que ça reste calme ! » Certaines fois, la sanction est plus dure, les consoles sont mises hors état de nuire dès le début de la colo, dans le placard fermé à clé de l’animateur référent, sous couvert de « on avait pourtant précisé avant la colo que la Game boy était interdite sur le centre parce que tu peux te la faire voler ». Et parfois même, cet animateur(trice) se retrouvant seul dans sa chambre après le cinquième repas, va avoir le culot de piocher dans son armoire pour jouer un peu avant de se coucher !
Ces restrictions de jeu montrent que certains adultes ne voient dans la console qu’une pratique solitaire, tout comme la lecture. Pourtant il n’est pas rare de voir des enfants s’agglutiner sur le lit ou sur le banc autour de celui qui joue. Que se passe-t-il durant ce moment de regroupement ? Des conseils fusent et se confrontent, des tactiques s’élaborent à plusieurs, parfois des chamailleries éclatent, la console change de mains. N’avons nous pas ici un des éléments de vie en groupe ? N’avons-nous pas ici des enfants qui se retrouvent autour d’un objet culturel (le jeu vidéo) et d’un objectif commun nécessitant des confrontations cognitives ou stratégiques (finir le jeu) ?

Passe-Temps ou addiction
Certaines fois, l’animateur est avec ce groupe d’enfants, il se met à jouer avec eux, il participe au conflit cognitif, il participe à élaborer des tactiques, il conseille... mais surtout il se cache. Si ses collègues le voyaient il risquerait sûrement d’être taxé de fainéant et ça lui fait peur ! Pourtant, en quoi un animateur passant du temps privilégié avec quelques enfants, s’intéressant et participant au plus près des préoccupations de ceux-ci serait-il à blâmer ? Son collègue qui joue au billard indien avec trois autres enfants est-il plus professionnel, plus pédagogue ? Pourquoi l’un est-il vite pris de culpabilité alors que l’autre ne se pose même pas la question de savoir s’il est ou non dans son rôle d’animateur ? Peut-être que la différence se situe dans l’image qui colle à la peau du joueur vidéo ? Peut-être est-ce parce que l’on a l’habitude de ne voir le joueur vidéo que comme un marginal, quelqu’un qui a des problèmes et qui se réfugie dans le virtuel, quelqu’un d’asocial voire pire d’antisocial, quelqu’un qu’il faudrait « aider », quelqu’un qui a besoin de reprendre confiance en lui, quelqu’un qui a besoin d’un petit ami ou d’une petite amie ? Question de stigmates : le joueur vidéo est un Geek, il voue sa vie, son temps et son argent au virtuel. Mais le joueur vidéo peut aussi être quelqu’un qui va bien, qui a de multiples centres d’intérêts. Il peut aussi être quelqu’un qui prend sa vie en mains, qui a des amis, qui mange équilibré avec le reste de sa famille, qui fait du sport et du théâtre. Le joueur vidéo est d’abord quelqu’un qui joue ! On entend, souvent dans le langage commun, parler d’addiction aux jeux vidéo, de jeunes qui se coupent du monde, de Japonais trop pris dans le jeu et qui meurent faute d’avoir oublié de manger durant trois jours (!). Mais les études de sociologues et psychologues montrent qu’en fait le phénomène d’addiction au virtuel reste extrêmement rare même si certains jeux vidéo inscrivent dans leur conception même des mondes virtuels paraissant sans limites. Il y a en réalité une différence entre « passer beaucoup de temps » et « être en état d’addiction ». Cette nuance est bien souvent oubliée dans les discours communs, ce qui provoque l’effet bien connu de déformer, grossir la réalité et créer un stigmate.

L’un des remèdes à ces discours alarmants peut être la pratique, l’immersion dans le virtuel afin de le comprendre. Il me semble en effet qu’un rapide passage de quelque minutes devant l’écran ne suffit pas à la compréhension des ces mondes complexes. Les consoles de jeux se multiplient dans les mains des enfants, que l’on soit pour ou contre c’est un état de fait et nos terrains d’action n’en sont pas épargnés. Et alors ? Pourquoi faire semblant d’adopter une attitude de résistance, qui en vérité est une attitude conservatrice, en les interdisant dans nos centres ou a contrario en adoptant une politique de l’autruche où l’on relègue cette activité courante chez les enfants au rang des choses futiles, débilisantes et solitaires.

Au service de l’éducateur
Mon questionnement ici n’est pas tellement de savoir si les jeux vidéo rendent débile, violent et asocial (sur ce point les psychologues, plus compétents que moi, paraissent avoir des débats très divergeant ) mais est plutôt de savoir ce que, nous, adultes faisons de cet objet. De la même manière que la télévision peut ne servir que de passe-temps les jours de pluie ou de réel outil pédagogique pour faire un projet d’éducation aux media, la console vidéo est un objet de plus au service de l’éducateur, c’est donc à lui de transformer cet objet un outil pédagogique ou de l’inscrire dans des projets de loisirs diversifiés. « Les adolescents ne veulent rien faire, ils n’ont aucune motivation » m’a dit un jour un humble animateur professionnel d’une humble maison de quartier, tout en branchant une Game Cube qui sera laissée en libre disposition tout le mercredi après-midi dans la salle « Accueil Jeune »... L’action des éducateurs dans cette maison de quartier (qui n’est qu’un exemple) est exclusivement le « laisser jouer’ ». Laissant les ados entre eux, dans un monde que manifestement les adultes connaissent peu, ce qui le rend encore plus attractif.

Jouer avec
L’autre position que pourrait prendre l’acteur éducatif est le « jouer avec ». À la fois pour comprendre les mondes dans lesquels s’immergent les joueurs, pour avoir une action éducative ciblée face à la gestion de la frustration de l’arrêt du jeu et face à la gestion du temps ; donc face au rapport réel/virtuel. Mais aussi pour créer des portes de sorties qui viennent de l’intérieur du monde virtuel et ouvrir les possibilités de choix (faire découvrir d’autres types de jeux, d’autres univers graphiques). L’acteur éducatif a intérêt à alterner ces deux positions. Il me semble que les variables dont l’acteur éducatif doit être regardant sont :
Le contenu du jeu, afin de ne pas mettre un enfant face à des images (situations) qu’il n’est pas prêt à recevoir.
Le temps de jeu, afin de créer un espace temps ayant un début et une fin. Une grande quantité des scénarios de jeu sont en effet construits dans la durée, certains sont sans moment de pause et d’autre jeux sont illimités et permanents sur le net.
Il est désormais temps d’arrêter de stigmatiser le jeu vidéo, d’arrêter de faire la politique de l’évitement. J’irais, moi, en colo l’été prochain avec ma Wii dans le même curver qui contient mon Opinel, mes livres de contes et de chants, ma caméra vidéo et l’envie de construire des cabanes. Comme ça, on pourra jouer lors d’après-midi trop ensoleillées sous une tonnelle. Bien sûr la console ne restera sûrement pas en libre service et j’inviterai avec une même ferveur les garçons et les filles à venir jouer. Peut-être que jouer à Mario Kart leur donnera envie de construire des caisses à savon ?

1. Virole Benoît, L’addiction aux jeux vidéo
2. L’Observatoire des Mondes Numériques en Science Humaines met en ligne des recherches universitaires, consultables gratuitement à l’adresse www.omnsh.org

Guilhem RIVAILLON, Les Cahiers de l’animation N° 66, CEMEA, Avril 2009

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