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Ibrahim

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Il y a bien longtemps qu’à chaque séjour, devant l’enthousiasme parfois débordant des animatrices et des animateurs on se demande pour qui est fait le séjour. Les enfants ? Les animateurs ? Les deux ? Ah oui ???

Ibrahim faisait partie de notre équipe d’animation l’été dernier. Il souhaitait renouveler cette première expérience. Son recrutement s’était fait au feeling. Il n’avait ni Bafa ni formation touchant de près ou de loin à l’animation. Simplement une envie de partager ses valeurs avec un public jeune. Et puis aussi, l’Afrique Occidentale, le Sénégal, le Cameroun, le peuple Peul. Une envie d’accompagner les nombreux jeunes issus de ces contrées présents dans notre centre.
C’est la musique, la danse et le conte (africains bien sûr) sur lesquels Ibrahim s’appuierait pour « animer ». Il découvrait et improvisait l’animation et les enfants découvraient Ibrahim.
Le séjour a passé et les temps forts sont restés. Ibrahim et les enfants ’de toutes les couleurs !) ont partagé des moments intenses, des messages sont certainement passés.
Alors cette année, on recommence et Ibrahim est déterminé :
- J’ai plein d’idées et je vais préparer quelque chose de béton.
C’était quelques mois avant le séjour. Nous communiquions par téléphone et le projet d’Ibrahim prenait forme. Je le sentais, il était emballé, les idées fusaient, j’étais confiant ; son projet s"étoffait, il était ambitieux et ne pouvait que réussir. À travers la danse, chacun allait se découvrir, se redécouvrir, découvrir les autres, assoir son identité. C’était écrit, ça tenait la route.
Il y avait une démarche pour sensibiliser à la musique, pour s’exprimer dans la danse, pour se chercher dans les contes. L’équipe a pris connaissance de ce projet et l’a apprécié.

Le séjour arriva, le projet était lancé... et Ibrahim avec. Dans nos fonctions de direction, l’évaluation avait son importance, et au-delà des temps formels et individuels avec les animateurs, nous étions convenus de nous enquérir quotidiennement auprès de chacun de son ressenti, de ce qu’il vivait. Aussi j’allais à la rencontre d’Ibrahim :
- Alors, ça tourne cette affaire ?
- C’est super, les jeunes sont super emballés, je leur ai fait lire le synopsis du spectacle, ils ont adoré. Je crois que ça va être génial.
Et au fil des jours, on entendait vibrer la musique, rythmer les pas.

Quelques jours plus tard.
- Ça prend forme on dirait ?
- Oui, je crois qu’ils apprécient. Mais j’ai un peu de mal, ils ont tendance à repasser toujours le même morceau, et reproduisent une chorégraphie en vogue à la télé. Je ne sais pas si nous allons faire ce spectacle.

Quelques jours passent et Ibrahim se décompose. Le beau projet est bon pour le pilon. Le clip préfabriqué passe en boucle matin midi et soir.

Je m’entretiens avec Ibrahim.
- Les enfants ne s’intéressent vraiment à rien, ils en ont rien à foutre. Ils ne se rendent pas compte du temps que j’ai passé là-dessus.
- Je crois que l’animation c’est pas mon truc, je suis trop nul, je vais arrêter.

Des mots pour redonner confiance, et nous optons pour une autre stratégie. Ibrahim se délestera de son projet, de son synopsis et de sa chorégraphie. Il s’équipera d’un djembé et s’installera quand bon lui semblera sur la place (lieu central du centre). On verra bien la suite.

C’est ce qu’il fait un début d’après-midi ensoleillé. Personne n’y prête attention, ou alors on s’étonne de cette marginalité jusqu’à ce qu’un enfant s’arrête à côté de lui, puis se pose, et finalement l’interpelle et le solicite. L’invitation d’Ibrahim à entrer dans son jeu est superflue. Maintenant ils sont deux. Quelques demi-journées suffiront pour que d’autres s’y accrochent. Ce n’est plus la motivation des jeunes qui manque, ce sont les djembés. Alors on les fabriquera. Et il suffira d’une ondulation de hanche au son du rythme enivrant pour que les danseuses et danseurs se libèrent. Se libèrent malgré eux du clip inquisiteur. Nous sommes surpris car les plus engagés ne sont pas ceux que l’on attendaient.
L’envie émerge, elle devient vite collective, on projette, on programme, on construit, on se dispute, on répète, on transpire, on s’emballe, on donne et reçoit conseil, on aime et on s’aime.

Il y aura bien un spectacle, agrémenté d’un yassa (poulet, riz, curry et autres saveurs inconnues) préparé par des spécialistes. Et au delà de la qualité artistique de la prestation, c’est la force dégagée par chaque musicien et acteur qui a été impressionnante, puissante et envoûtante. Les enfants se sont libérés, ils sont devenus eux-mêmes, ont sûrement touché à quelques racines. Nous autres spectateurs, avons ressenti de l’émotion, de l’humilité et du respect.

Alors, exit la préparation, place à l’imrovisation ? Certes, non. Quelle place l’animateur tient-il dans un centre de vacances et de loisirs ? Quelle relation entretient-il avec l’enfant ? Celle de manager, de scénariste, de metteur en scène, de chef d’équipe ? Un peu de cela peut-être, mais l’animateur est avant tout une personne avec ses savoir-faire, son savoir-être, ses passions. Vivre un séjour avec des jeunes, au-delà des valeurs qu’un projet défend, n’est-ce pas tout simplement partager ?

Mark Bernadat, Les Cahiers de l’animation Vacances / Loisirs n°51, CEMEA, 3eme trimestre 2005.

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