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Education populaire

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1. Education populaire : concepts et naissance

C’est relativement compliqué de définir l’éducation populaire car il n’y a pas UNE éducation populaire mais plusieurs courants qui se réclament de celle-ci.

De manière schématique ce qui fait commun : tout ce qui, hors de l’Etat et des institutions étatiques, s’intéresse au peuple, aux besoins du peuple et qui s’intéresse à l’outil et à l’objectif qu’est celui de l’éducation.

De la même manière on peut difficilement donner une date de naissance précise, par contre on va souvent s’accorder à citer les courants de pensées du siècle des lumières ou de la Révolution française. Le personnage le plus cité est celui de Condorcet qui déclarait dans le rapport de la convention en 1792 : « Le genre humain n’en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres, et celle des esclaves. »

Se développe l’un des pôles de l’éducation populaire : celui du développement de l’esprit critique :

  • sous la forme d’une éducation : être capable de raisonner
  • sous la forme d’acquisition de valeurs, d’éthiques...
  • sous la forme de développement de pratiques démocratiques

Un autre courant, à l’origine plus proche des catholiques (la charité chrétienne) se fixe comme objectif d’améliorer le sort du peuple : éducation morale pour améliorer sa vie quotidienne, solidarité/charité avec ceux et celles qui manquent... Ce courant n’existe pas seulement dans le champ catholique. HPE (Hygiène Pour l’Exemple) est une association (construite entre autres sur des bases hygiénistes) de centre de vacances créé par les militant-es des Cemea.

Certaines personnes défendent des synthèses entre ces deux courants. L’éducation populaire serait à la fois un outil de solidarité concrète (la goutte d’huile qui permet de compenser les inégalités, de compenser les fractures sociales : les restos du cœur...) mais aussi un outil de questionnement, de remise en cause de la situation vécue (le grain de sable qui interroge la situation inégalitaire, la raison d’être de la fracture). Et l’un sans l’autre n’aurait pas de sens...

2. École publique « obligatoire » et la jeunesse devient progressivement un enjeu politique

Les «  » ont toute leur importance car aujourd’hui encore l’école d’un point de vue juridique n’est pas obligatoire.
L’école gratuite et devenant un droit pour tous les enfants est, malgré tout et sans aucun conteste, un progrès. Néanmoins il faut relativiser ce progrès apparent car il répond aussi à d’autres objectifs :

  • ce « progrès » répond à un besoin du patronat : l’évolution de l’industrie demande des hommes ayant un minimum d’instruction
  • ce « progrès » répond aussi à l’intérêt de l’État : l’école peut devenir un outil d’instruction, un outil de propagande : il faut construire des citoyens respectueux de lois, de l’État, patriote et prêt à mourir pour la patrie...

La jeunesse devient progressivement un enjeu. L’organisation des temps scolaires ou des temps libres se construisent sous un champ concurrentiel avec le courant catholique, laïc et, dans une moindre mesure, socialiste.

Il faut se remettre dans le contexte historique de la fin du 19ème et début du 20ème siècle. L’église catholique (au niveau de sa hiérarchie et de la majorité de ses représentants) s’oppose à la Révolution française, aux différentes républiques et défend l’Empire. La défaite de la Commune de Paris (1871) renforce cette opposition, cette fracture. C’est dans ce contexte que la jeunesse devient un enjeux et les mouvements s’organisent principalement dans et autour de l’école.

Nous sommes dans des mécanismes où une minorité restreinte a une volonté de mobilisation de masse sur la jeunesse pour tenter de peser sur les structures sociales et politiques. Pour la Ligue de l’Enseignement (créée en 1866) l’enjeu est entre autres d’éviter l’échec de la république lors du vote au suffrage universel en 1848 : « En démocratisant la culture, il faut assurer le fonctionnement et le caractère durable de la démocratie politique »

La mise en œuvre cette politique se traduit par la mise en place de patronages, de centres de loisirs, de bibliothèques, d’associations d’entraide de quartier, de manifestations culturelles au sein des quartiers et des villages...

Le courant catholique
Il existe au sein de l’église catholique deux courants distincts, qui s’opposent en permanence et encore de nos jours : traditionaliste et progressistes.

Le courant « traditionnaliste »
Ce courant défend une morale stricte autour de l’idée d’une famille (un seul type de famille) et d’une position interclassiste (la société n’est pas partagée en classes sociales, il est logique qu’il existe des pauvres et des riches) Une de ses forces ce sont les patronages que l’on retrouve à la fin du 18ème siècle, pour désigner des entreprises de formation morale. L’église tente de s’implanter à travers les patronages : « Le patronage constitue l’organisme le plus important de la conquête religieuse du peuple et l’arme maîtresse pour la formation des jeunes, il permet d’atteindre indistinctement les enfants des foyers chrétiens et ceux, qui élevés dans les écoles laïques échappent aux prêtres. Il devient un correctif puissant aux idées subversives que renferme trop souvent l’enseignement des maîtres enrôlés dans les milieux du socialisme et de l’anarchisme. » (Lhande, 1927)

Le courant traditionnaliste est lui-même divisé et certains seront excommuniés par le Vatican (Action Française...) L’un des courants accepte la république (depuis 1892), un autre s’y oppose, défend l’idée des messes en latin, refuse la séparation de l’église et de l’état (1905)... On peut le comparer au courant fondamentaliste musulman.

Le courant progressiste
C’est un courant ouvriériste et/ou républicain trouvant dans les idées mêmes de l’évangile des concepts démocratiques... Du coup c’est l’affirmation que l’homme et la femme sont maîtres de leurs destinées et que la société et son évolution n’est pas seulement la construction d’un dieu. Ce courant rejoindra le courant laïc, on le connaît aujourd’hui autour de revues comme « Témoignage Chrétien », « Golias », de mouvements comme la JOC....

Des catholiques tentent aussi d’impulser des organisations dans les milieux de la jeunesse ouvrière en proposant ainsi un ordre social chrétien. Albert de Mun sera un de ces instigateurs avec la formation des Cercles Catholiques Ouvriers et par la suite de l’ACJF (Association Catholique de la Jeunesse Française)
Le développement de l’ACJF correspond à une période où l’église catholique au niveau de sa hiérarchie se repositionne partiellement vers un catholicisme social (texte sur la condition ouvrière du Vatican en 1891 - Rerum Novarum et ralliement à la république française en 1892). En 1898 l’AJCF est composée de 3000 groupes et de 140 000 adhérents. L’AJCF va connaître en son sein tous les débats de l’église catholique. Au sein de l’ACJF il exite malgré tout ce débat traditionaliste/progressiste avec la création en son sein (puis un départ dans les années 60) de la JOC (jeunesse ouvrière chrétienne) et la JAC (agricole) et de la JEC (étudiante). La JOC sortira de l’ACJF parce que trop consensuelle et ne s’appuyant pas assez sur le courant catholique social.

Un autre personnage va marquer cette évolution : Marc Sangnier et le Sillon. Le projet du Sillon est donc de réconcilier l’église catholique avec les ouvriers et la république. Il créa aussi la première auberge de jeunesse en 1929. Pour élargir le champ de ses interventions, il envisage d’accueillir des non-catholiques et s’oriente vers l’intervention syndicale (qui se traduira entre autres sans lien direct par la création de la CFTC d’où naîtra, suite à une scission, la CFDT) et politique. Dans le courant catholique il connaît une vive hostilité des milieux traditionnalistes.

Les mouvements influencés par les deux courants
Sur le champ des centre de vacances les catholiques s’organisent autour de l’UNCV (union nationale des centres de vacances) en 1909 qui deviendra l’UFCV en 1933 ; influencé par les deux courants.

Le scoutisme
On pourrait le classer de manière majoritaire dans le courant traditionaliste mais la situation est un peu plus complexe. L’origine du scoutisme avec Baden-Powel s’inscrit dans un champ très réactionnaire même si certains outils seront ré-utilisés dans les courants progressistes et s’inspire même des courants d’éducation nouvelle (Pestalozzi, Montessori...). Baden-Powel est un militaire inquiet de la déficience éducative des institutions. Une des caractéristiques de ces organisations est de ne pas toujours afficher clairement ses objectifs et d’afficher de vagues objectifs autour de valeurs morales et familiales.

Lors d’une première lecture des textes de Baden-Powel on peut lire l’objectif de « faire de l’individu un citoyen actif et heureux... » (pas de quoi « fouetter un chat ») mais on peut aussi y lire des idées interclassistes et anti-socialistes : « amener l’individu à travailler pour la communauté... Créer partout ce bon vouloir dont nous avons si besoin pour détruire dans notre peuple les préjugés de classes. », « la digue la plus forte qui soit encore capable d’arrêter la marée montante du socialisme anglais » (citations congrès Sevin, 1923).

Même s’il existe un scoutisme laïc, le courant catholique sera largement majoritaire (scout de france) Son développement sera important et au départ ne sera pas reconnu par l’église car mettant en concurrence les patronages. Les leaders du scoutisme français géreront entre autres le secrétariat général de la jeunesse sous le gouvernement de Pétain.

Néanmoins la caractéristiques du mouvement scoutiste, c’est qu’il n’a jamais été totalement inféodé à l’église catholique et a toujours su garder des formes d’indépendance. Des groupes locaux ont toujours ainsi pu se créer sur des bases moins traditionalistes (reconnaissant les classes sociales et donc l’intérêt de la lutte des classes et acceptant au sein des groupes des non catholiques ou non pratiquants) d’où une réelle diversité.

Le courant laïcs et socialistes
La description est ici commune car elle s’exprime souvent dans des mêmes lieux, des mêmes structures. L’opposition entre ces deux courants sera malgré tout permanente et se traduira aussi au sein même du courant socialiste par des différents :

  • le courant réformiste, républicain qui pense prendre démocratiquement le pouvoir et réformer le capitalisme pour le rendre plus humain.
  • le courant révolutionnaire qui ne croit pas en la possible réforme du capitalisme, et qui au-delà du pouvoir politique affirme l’existence d’un pouvoir économique (le pouvoir du patronat) Il faut donc renverser ce pouvoir, gérer l’économie pour changer la société ! Ce courant est lui-même divisé entre deux courants qui se déchireront au sein de la première internationale : le courant marxiste (favorable à une phase transitoire, la dictature du Parti du prolétariat) et le courant anarchiste (défendant l’idée d’un fédéralisme politique)

Le premier courant va s’exprimer principalement au sein de la Ligue de l’Enseignement, le deuxième au sein des Bourses du Travail (Cf § sur le mouvement ouvrier) et des Universités populaires. Des mouvements comme les Francas, les Cemea, Peuple et culture... seront influencé par les deux courants. Il est parfois difficile de faire une nette distinction entre les deux, ce d’autant que des mouvements politiques passeront de l’un à l’autre au cours de leur histoire, comme le PCF (révolutionnaire sur la période de l’entre deux guerres, et qui en 1945/1947 va passer progressivement sur un champ d’intervention réformiste en participant à plusieurs reprises à des grouvernements : 1945, 1981, 1997)

La ligue représente peut être le mieux d’un point de vue historique le courant républicain.
La ligue a été crée pour défendre l’idée d’une école gratuite et publique mais à vite élargi son champ d’actions. En 1894 Macé disait « Parce qu’on a conquis l’école est-ce bien le moment de se croiser les bras ? (...) Qu’on ne dise donc plus : la ligue de l’enseignement a fini son œuvre et qu’elle a perdu sa raison d’être, c’est l’éducation républicaine du pays ; sa raison d’être, c’est le suffrage universel.  » C’est le moment on l’on crée les accueils péri-scolaires (appelés post-scolaires), les amicales...

L’éducation populaire et le mouvement ouvrier
Ce courant va s’exprimer à deux niveaux :

  • pour changer le monde il faut le connaître. À cet effet des cours, des universités sont largement développés
  • la culture est un élément d’instruction, se cultiver donne des moyens, des clefs de compréhension du monde. À cet effet le mouvement ouvrier va créer des théâtres, des films, un courant littéraire, des troupes... Une culture pour le peuple, créée par le peuple

Le mouvement d’éducation populaire est « cousin » des mouvements d’émancipation ouvrière. « L’organisation des travailleurs était une question de dignité et de survie. Il est évident, dans ce contexte, qu’il convenait de développer les capacités de découverte en élargissant les connaissances, en discernant les stratégies, en maîtrisant les règles économiques... Bref tout ce qui pouvait permettre de conscientiser rentrait dans le champ de l’éducation populaire. » (Alain Manac’h, Culture et Libertés)
Un des premiers textes de référence des Francas s’intitule « Révolution » : « Nous trouvons notre foi, notre volonté, notre but dans le peuple (...) Si nous voulons travailler dans les milieux populaires, il faut que nous fassions pleinement corps avec eux. Il faut que toutes leurs souffrances, toutes leurs causes et tous leurs rêves soient nos souffrances, nos causes, nos rêves... » Ce mouvement d’éducation populaire s’inscrit dans un système de valeurs qui met la classe ouvrière au centre de ses préoccupations éducatives et sociales.
Cela va se traduire par du théâtre populaire (qui s’inscrit géographiquement, accessible au niveau des tarifs, traitant de causes et d’intérêts populaires, géré et animé par des personnes issues du milieu populaire), des formations populaires au sein des universités populaires, des cours dans les bourses du travail , les bibliothèques, ciné-club...

3. Entrée en scène de l’État

Quelques dates symboliques :

  • 1936 Le gouvernement du Front Populaire crée un sous-secrétariat d’Etat à la jeunesse et aux loisirs
  • 1945 Mise en place de l’inspection des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire
  • 1946 Création du conseil supérieur de l’éducation populaire et des sports
  • 1952 Première promotion des inspecteurs jeunesse et des sports
  • 1953 DECEP (Diplôme d’Etat Conseiller d’Education Populaire
  • 1967 IUT Carrières Sociales dont 1 avec option animation socio-culturelle
  • 1967 CAPASE/BASE
  • 1973 BAFA/BAFD
  • 1981 DEFA
  • ...

Ces dates symboliques illustrent une entrée en scène d’un secteur où l’Etat s’était montré absent, distant avant 1936 : mise en distance réciproque.
Historiquement le gouvernement s’est d’abord préoccupé des mouvements sportifs, avec des arrières pensées patriotiques sur les résultats de championnats mondiaux et jeux olympiques. Alors qu’il faut attendre 1967 pour avoir des diplômes ou brevets de masses dans l’animation, en 1937 on a déjà délivré 100 000 brevets sportifs populaire. En 1938 l’office des sports scolaires et universitaires est créé.

La préoccupation réglementaire, une première entrée toujours d’actualité...
Dans le champ de l’animation, la mise en place du réseau des inspecteurs jeunesse et sport (1946) va correspondre à un renforcement du contrôle administratif et étatique sur ce champ et dans un premier temps sur les centres de vacances. La réglementation, les normes commencent à s’imposer et déjà le débat (que l’on connaît aujourd’hui) apparaît de manière violente :

  • la réglementation peut protéger, donner des garanties aux usagers
  • la réglementation qui ne s’accompagne pas en parallèle de moyens tue le secteur et dans un premier temps les plus petites structures (les patronages, les petites amicales) perdent ne font plus de CV au détriment des municipalités, des Comité d’Entreprises, des grandes fédérations.

Les subventions...
La mise sous tutelle des mouvements (et en particulier des mouvements comme le scoutisme qui échappe à la réglementation) se fera aussi par les subventions et la dépendance qu’elles peuvent à terme créer. La gestion des subventions est politique et permet de s’assurer un contrôle sur des associations qui vont perdre progressivement leur autonomie.
L’État sera par exemple très directif avec le mouvement ajiste (auberges de jeunesses) car en 1956 il conditionne le versement d’une subvention à la réunification. Elle contraint la victoire de la tendance technocratique contre la tendance militante ; et permet la naissance de l’actuelle FUAJ qui s’engage vers une dépolitisation. Les moyens de la FUAJ progressent en terme de capacités et qualités d’accueil, mais avec un désengagement des militants. Les associations départementales sont administrées par des administrations de tutelle, des notables locaux...

Quant à l’État lui-même, il ne peut se réclamer de l’éducation populaire (même s’il peut exister des fonctionnaires, des agents de l’État favorables à son émergence, à son existence) : ce serait faire une confusion importante entre service public et l’éducation populaire.

Naissance du secteur de l’animation socioculturelle
La naissance du secteur de l’animation répond à un double mouvement :

  • mouvement de constructions massives d’équipements c-ulturels et socioculturels
  • mouvement de professionnalisation
    Ce double mouvement correspond donc à une main-mise de l’Etat progressive.

La FFMJC ( Fédération Française des Maisons de Jeunes et de la Culture) est à ce titre historiquement très intéressant. Un mouvement « République des Jeunes » est créé en 1946. Elle est présidée par un ancien ministre du gouvernement provisoire : « Cette jeunesse diverse, libre et responsable, ne doit pas se répartir en mouvements rivaux s’ignorant les uns et les autres, d’où la nécessité d’institutions ayant pour but de rapprocher les diverses organisations en vue d’une coopération féconde ; de de mettre à la disposition de tous certains moyens d’actions. » Le mouvement se transforme en FFMJC en 1947 affirmant trois principes : pluralisme, laïcité et service semi-public. En 1951 et 1957, elle établit des plans de développement validé par le ministère de l’éducation nationale. Ces plans ne furent pas réalisés avant 1961 mais ouvrirent la voie vers une telle politique : celui des équipements.

La construction des équipements
On va dans les années 60 vers une accélération de l’intervention étatique, entre autres dans la construction exponentielle d’équipements. Le clivage public/privé s’efface, perd de sa visibilité face à l’engagement fort de l’Etat. On connaît alors la construction annuelle de milliers d’équipements (maison de quartiers, centres socioculturels, centres de loisirs, gymnase...) répondant à :

  • une volonté de contrôle et de neutralisation (ces structures sont ouvertes à tous et toutes et doivent répondre comme pour l’Ecole à une forme de neutralité) de l’Etat
  • un changement démographique avec un déplacement des populations de zones rurales aux zones urbaines
  • une perte militante de la part des fédérations d’éducation populaire (on entre dans la période de la professionnalisation)
    Cette politique des équipements va aussi forcer les municipalités peu favorables à de telles politiques.

Les mouvements d’éducation populaire suivent ce mouvement : c’est une forme de reconnaissance mais aussi un risque de perte d’identité...
Afin de consolider ses acquis, de trouver un deuxième souffle, les associations vont, elles, s’adresser aux pouvoirs publics en leur demandant de garantir leurs assises institutionnelles ; On est dans une période économique faste (fort taux de croissance, politique étatique gaullienne, interventionniste) où va se construire une forme de partenariat implicite « Objets de sollicitude de la part des pouvoirs publics, les mouvements d’éducation populaire se sentent concernés par ce qui se passe du côté de l’État que l’on appellera l’État providence. L’État pour sa part, a modifié ses manières de faire et, au travers des Plans, il cherche à associer les forces vives de la nation. » (Geneviève Pujol)
Le bilan tiré de cette période toujours d’actualité : « L’idéologie consensuelle de l’animation a entraîné l’animation socioculturelle vers un remplissage d’activités socio-éducatives ou de diffusion artistique sous le concept fourre-tout d’épanouissement ou de loisirs enrichissants à grands coups de formules éculées du type démocratisation de la culture. On dévide des morceaux d’activités en tranches d’heures, par groupe d’âges, et on se satisfait des prestations éducatives dans de bonnes conditions pédagogiques ; on se gargarise de missions de service public ; vive la fonctionnalité » (Foyers Ruraux, 1995)

Professionalisation
La professionnalisation entraîne de nouvelles contradictions et des tensions entre trois types de personnes intervenant sur les structures socioculturelles (d’où des sources de tension et de confusion)

  • le bénévole qui donne du temps gratuitement (intervenant sur l’équipement à la fois pour donner du temps mais pour utiliser l’équipement comme lieu créant du lien social. On y retrouve de nouveaux arrivants, nouveaux retraités, nouveaux chômeurs diplômés...)
  • le militant qui fait comme le bénévole mais à travers et pour des valeurs identifiées
  • le professionnel qui se dit parfois que technicien...

L’écart se creuse de plus en plus. Les diplômes de la JS ont beau avoir au sein même des intitulés la notion d’éducation populaire (Beatep, Bpjeps), le décalage est de plus en plus important. Cet écart est d’autant plus important que les associations elles-mêmes se sont écartées de leurs projets associatifs (associations de services au lieu d’être associations de projets)
Le renforcement du nombre de professionnels n’étant pas recrutés au sein même de ces mouvements amplifie ce phénomène. L’embauche se fait de plus en plus sur des bases de compétences et non sur l’histoire de la personne, son parcours. De fait avec le temps les associations perdent du sens, ne défendent pas un projet associatif en tant que tel (phénomène plus ou moins important selon les associations que l’on peut aussi mesurer dans le rapport nombre de professionnels /nombre de militants en heures d’intervention)

À titre d’exemple en 2004 lors d’une présentation publique du BAFA sur un PIJ de Cholet, des professionnels de la FAL, Francas et Familles Rurales s’accordent à la fin pour dire que ce qu’ils faisaient finalement étaient assez similaires... Quelles pertes de sens...!

Les associations d’éducation populaire dans le champ de la concurrence libérale
Sur cette période (années 80/90) les associations ayant embauché nombre de professionnels ont des contraintes financières importantes : les salaires représentent 50 à 70% du budget. On connaît une forme de dénaturation de la vie associative sous une logique trop exclusivement économique. « Après la logique un homme, une voix, victoire des mouvements de 68 qui ont ébranlé toutes les grandes fédérations et évacué le paternalisme des années 60, on est passé progressivement à un mode de décision basé sur la position hiérarchique » (Patrick Vab Acker, FNFR)

Dans une période de restriction budgétaire, de retrait de l’État
comme aujourd’hui cette dérive est encore plus forte : trouver de l’argent pour compenser le désinvestissement public est devenu une priorité.Il faut proposer de la qualité en terme d’activité au lieu de l’éducatif. Pour les centres de vacances le catalogue se fait sur papier glacé (comme pour les catalogues de formation) avec de l’activité kayak, cheval, VTT à tout va...

L’Etat, les collectivités territoriales, des donneurs d’ordres...
Les années 80 va être le début de la période des dispositifs, de la contractualisation. Cette politique va prendre naissance, essor avec la politique de discrimination positive. En 1981 Mitterrand est au pouvoir avec le PS, PCF et radicaux de gauche ; la gauche espère, la population aussi. Au cours de l’été 81, on va connaître des accidents avec des rodéos, des altercations sévères avec la police dans plusieurs banlieues. De cette incompréhension mutuelle, des interrogations des politiques de gauche va découler les « Opérations anti-été chaud », puis opération prévention été puis VVV (programme Ville Vie Vacances). C’est la naissance de la politique de discrimination positive avec une territorialisation des villes avec les ZEP (zone d’éducation prioritaire), les ZUS (zone urbaine sensible), des missions locales (1982)... Une certaine gauche républicaine s’y oppose (Chevènement ministre de l’éducation nationale en 1984 tentera de remettre en cause le principe des ZEP) en défendant l’idée de l’égalité de droit, l’égalité républicaine sur l’ensemble du territoire national. L’État met en oeuvre une politique de contractualisation : chaque dispositif s’applique par un appel à projet (VVV, contrats liés au CEL...) où les associations peuvent être mises en concurrence.

1982 c’est aussi l’année de la première loi de la décentralisation : le conseil régional et général deviennent indépendants de l’éÉtat (les préfets n’exercent plus qu’un contrôle de légalité) avec ses propres élections et ses transferts de compétences. La formation professionnelle par exemple est aujourd’hui du champ de compétences des régions.

Cette décentralisation a renforcé, accéléré l’arrêt, la réduction des subventions de fonctionnement au profit d’une contractualisation sur des projets définis. Un changement de majorité sur une commune peut remettre sur le marché l’organisation du service d’animation...
Les pouvoirs publics sont les donneurs d’ordres des associations : ils leur achètent des prestations de service après les avoir choisies à travers une procédure d’appel d’offres. Il s’agit de sortir d’une économie « parapublique » pour entrer dans une politique marchande qui est pour eux le gage d’une meilleure utilisation des moyens publics... Cela s’accompagne de l’abandon partiel ou total des subventions de fonctionnement au profit du contrat. Par conséquence les associations entrent dans une précarité permanente, le contrat n’étant jamais assuré de renouvellement.

Des conséquences assez négatives pour l’éducation populaire :

  • une mise en concurrence des associations non sur la valeur, la validité des projets mais sur de l’appel d’offre (qualité de la prestation, liens avec le politique...)
  • les nouvelles actions naissent moins des initiatives associatives que des offres des pouvoirs publics
  • le modèle participationniste sur les équipements socioculturels ne fonctionnent que très modestement avec une rupture entre les structures d’accueil et les jeunes

Ce constat négatif est partagé par plusieurs associations : « Regardons au sein même de nos associations. Le brassage social s’y fait moins, les différentes tranches d’âges se rencontrent peu, la technicité et la spécialité par centre d’intérêt ont pris le pas sur le projet collectif. La volonté d’émancipation et de transformation sociale qui animait les militants associatifs fait la place à l’organisation consommatrice, à la conformation ou à la réparation. Pris dans l’urgence ou dans la gestion, nous nous sommes éloignés de cette farouche volonté d’agir avec toutes les populations. Nous y avons été contraints aussi par des financements insuffisants. La lucidité nous oblige à reconnaître que la demande de consommation éducative et culturelle, l’irruption des loisirs nous ont engagés dans des démarches prestataires trop exclusives. » (Eric Favey, secrétaire national Ligue de l’Enseignement 1995)
On retrouve cette même problématique dans toutes les formations d’insertion lancées en 1982 (avec les projet Schwartz) Les associations dont les Cemea se retrouvent souvent dans une posture d’insertion individuelle alors que l’exclusion est une résultante objective du fonctionnement de notre société. Or c’est cette même société qui commande et finance ces formations.

Cette analyse négative, peut-être amère, ne doit pas retirer tous les actes militants, les réalisations quotidiennes qui font que l’éducation populaire est toujours d’actualité, qui font que même un gouvernement libéral ne peut nier l’éducation populaire (terme inséré dans le nouveau diplôme d’État, le Bpjeps : ce n’est peut être que symbolique, mais c’est un symbole que la droite aurait bien voulu mettre aux oubliettes)... Analyse négative, ou plutôt sévère ; mais parce qu’il est toujours bien de l’être avec soi-même... Car les Cemea n’échappent pas complètement à l’ensemble de ces critiques...

4. L’avenir de l’éducation populaire

L’Éducation Populaire a un avenir si à terme si elle réussit à clarifier :

  • Son rapport à la professionnalisation avec le sens à travailler dans les embauches externes (prise en compte du parcours associatif des personnes à l’embauche) et la nécessité d’une formation continue (appropriation du projet) Le professionnel ne doit pas être considéré comme un technicien... Faut il que l’on lui propose des postes où il puisse y avoir du lien avec le fond (des temps de préparations, des lieux pour interroger le fondement, le sens de son action...)
  • De garder (ou reconquérir) une autonomie de pensée (et donc une capacité critique) vis à vis des collectivités territoriales malgré les « marchés » mis en oeuvre. Les associations doivent se le permettre et les élus soucieux de la liberté d’association doivent (devraient) le prendre en compte.
  • De réaffirmer ses valeurs, son projet associatif tant à l’interne qu’à l’externe.

Il nous faut aussi retravailler collectivement vers une redéfinition (et peut être une forme « d’épuration ») de ce qu’est l’éducation populaire.

« Un projet à préciser voire à modifier. L’éducation populaire, c’est toujours un ensemble, d’actions qui ont pour objectifs de permettre l’accès de tous à la connaissance, à la culture, au progrès, avec comme finalité ultime, le développement de la citoyenneté...
Une telle définition pose évidemment bien des problèmes. Elle nécessite d’autres définitions ou au moins des précisions : ainsi, de quelles connaissances s’agit-il ? Qu’est-ce que la culture ? De quel progrès et bien sûr, de quelle citoyenneté parlons-nous ? De la diversité des réponses possibles vient sans doute l’extrême difficulté à cerner un champ où se côtoient des formes d’action et des supports d’une grande diversité. La question du « label » éducation populaire est d’ailleurs récurrente : est-ce que les institutions et les organisations généralement classées dans ce champ parce qu’elles en sont issues, développent des activités qui leur correspondent encore réellement ? A contrario, est-ce que des associations, des organisations différentes ne font pas aujourd’hui de l’éducation populaire sans le savoir ? Quelle place et comment sont réinvesties les idées de l’éducation populaire dans des lieux aussi différents qu’ATD-Quart Monde, les Régies de quartier, le secteur de l’économie alternative et solidaire, le monde de la musique amplifiée...
Ressurgie aussi la question de la laïcité : l’éducation populaire est-elle nécessairement laïque ? Historiquement, la réponse est claire puisqu’une partie importante du secteur a été portée par des mouvements d’origine confessionnelle.
Enfin, quels devraient être les champs privilégiés d’intervention de l’éducation populaire ? Quelles relations doit-elle établir avec la lutte contre les exclusions, ou pour le dire mieux, la lutte pour plus d’égalité ? Ainsi on entend de plus en plus de voix qui s’élèvent pour protester contre l’enfermement du secteur dans le « social », c’est-à-dire dans des actions de réparation et de substitution qui « tirent le secteur vers le bas ».
Pour faire le tri entre ce qui serait de l’éducation populaire et ce qui n’en serait pas, il faut sans doute regarder la place des personnes, des utilisateurs, des usagers., du public en tant qu’acteur, ce qui exclut d’emblée toute démarche caritative, paternaliste ou prosélyte et démagogique... Le chantier est vaste, les tâches complexes et énormes... Faisons le pari que notre société a encore suffisamment d’enthousiasme pour relever le défi !
 » (André Falcucci)

Régis Balry - CEMEA Pays de la Loire

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